Cancer : Le douloureux parcours des malades
Il est 9h, la salle d’attente de l’annexe de seinologie du CPMC de la rue Larbi Tebessi d’Alger est déjà noire de monde. Nous prenons place pour discuter avec les patientes. Une jeune fille attire notre attention. Elle est jeune... à peine 23 ans. Paniquée, apeurée et pâle, elle arrive chez l’agent d’accueil, lui remet toute tremblante une enveloppe pleine de radios et d’analyses.
On vient de lui découvrir une tumeur du sein. «Il m’ont dit de m’adresser à ce service, mais je ne sais plus quoi faire de plus», dit-elle d’une voix nouée. «Prenez place mademoiselle jusqu’à ce que l’infirmière vous appelle.» Dossier remis, carte établie... En attendant, la jeune fille croise les doigts. Nous avons l’impression qu’elle attend un miracle. Elle commence à réciter des versets coraniques et à faire des prières. On lit la panique dans ses yeux. Dans la salle d’attente, il y a également quatre femmes qui viennent pour la première fois.
Perturbées, elle doivent non seulement faire face à une maladie qui fait vraiment peur, mais surtout à un long parcours du combattant. Il faut faire des radios, des analyses, passer en consultation, mais surtout beaucoup de patience et aussi être capable de se débrouiller. Car, il faut s’armer de courage et être accompagnée pour trouver son chemin dans les couloirs de l’hôpital et les différents services. Outre la méconnaissance de la maladie, du traitement qu’il faut suivre, des chances de guérison, sur le plan technique les patientes se perdent. «C’est carrément le parcours du combattant», disent-elles
«Fatigue psychologique»
Samia, 40 ans, arrive de Batna. Nous l’avons rencontrée au CPMC : «Psychologiquement, je me suis préparée à tout, car j’ai toujours espoir de guérir.» Samia se montre plus courageuse que les autres patientes. Elle a un cancer du col de l’utérus diagnostiqué au stade 4 et elle suit des séances de chimiothérapie, avant de se faire opérer. «C’était difficile au début. J’ai d’abord pensé à mes enfants, car je ne veux pas les quitter.
Ils sont jeunes et ont encore besoin de moi. Aujourd’hui, c’est ma foi qui m’aide à dépasser mon mal et à reprendre des forces pour pouvoir faire face à la maladie. Je n’ai pas d’autre choix, ou du moins je dois le faire pour ma famille qui n’arrive toujours pas à accepter cette atroce réalité. J’essaie de garder confiance, mais quand je vois la lenteur des démarches et la difficulté à obtenir des rendez-vous, je suis démoralisée. C’est la maladie du siècle. Elle devrait être correctement prise en charge. Malheureusement, chez nous, c’est un vrai parcours du combattant», témoigne-t-elle.
Martyre
Autre cas, celui de Fatiha, 53 ans. Fraîchement guérie d’un cancer du sein, la voilà atteinte d’un cancer des poumons. «Il y a deux ans, on m’a diagnostiqué un cancer du sein». Fatiha est consciente de ce qui l’attend. «Il y a deux ans, j’ai souffert le martyre. Heureusement que j’ai les moyens de me soigner, sinon je serais morte», déplore-t-elle. Le traitement du cancer se fait sur plusieurs étapes. D’abord, le diagnostic, ensuite les séances de chimiothérapie.
Et enfin des séances de radiothérapie. Et c’est justement cette étape qui pose le plus de problème. «Loin des normes internationales», comme l’avait déjà souligné le professeur Djamaa, chef de service de radiothérapie à l’hôpital de Constantine, les patientes se retrouvent souvent dos au mur. Avec des rendez-vous très éloignés, certaines patientes décèdent en attendant leur tour. Selon elle, «il y a ces ajournements dans les rendez-vous ; nous avons accumulé 20 ans de retard. Il n’y a pas eu de renouvellement des machines depuis 1989, alors qu’il faut le faire au bout de 12 ans. Il y a aussi le fait que le nombre de malades a été multiplié par 5, voire 6.»
Pet-scan
Aujourd’hui, Fatiha souffre d’un cancer des poumons. On lui a diagnostiqué la maladie assez tôt. Elle reste confiante : «J’espère guérir une seconde fois. J’espère aussi que les choses se sont un peu améliorées ces deux dernières années. Je me vois mal reprendre les séances de radiothérapie dans une autre wilaya. C’est non seulement pesant pour moi, mais également pour ma famille qui m’a toujours accompagnée durant la maladie». Malheureusement, Fatiha a rapidement constaté que rien n’a finalement changé ou, du moins, rien d’exceptionnel n’a été mis en place. «Il y a deux ans, on n’avait pas de pet-scan. On devait aller le faire à l’étranger. Deux ans plus tard, une seule machine est disponible sur tout le territoire national.
On ne trouve ce scanner qu’à Tizi Ouzou. Habitant Alger, je peux faire le déplacement. Mais qu’en est-il de celles qui ne sont pas véhiculées ou qui habitent très loin ?» s’interroge-t-elle. Dans la salle d’attente du CPMC, Tahar, la soixantaine, est très inquiet. Il accompagne sa fille pour une consultation. Très agité, il a du mal à garder son calme. Il fait des va-et vient dans le couloir. «On lui a diagnostiqué des taches au niveau des poumons. Tout le monde me dit que c’est grave, mais je ne veux pas y croire... Je ne peux pas y croire. Elle est encore jeune. Je ne peux pas admettre qu’elle pourrait mourir. Je me sens désarmé. J’ai peur pour ma fille. J’ai peur qu’elle ne tienne pas le coup.
Nous n’en sommes qu’au début du parcours et je la sens déjà affaiblie et très démoralisée. On nous a raconté tant d’histoires de personnes qui n’ont pas survécu car il n’y a pas de prise en charge, que les moyens sont quasi-inexistants et parfois à cause des erreurs médicales», soutient-il. Les craintes de Tahar sont justifiées. En effet, si certaines sont toujours en vie et continuent de se battre, d’autres n’ont pas eu cette chance.
Cauchemar
C’est le cas de Djamila, 56 ans. En 2014, les médecins lui ont diagnostiqué une tumeur maligne au niveau de la cuisse. Intervention, chimiothérapie et radiothérapie, elle est passée par toutes les étapes. Quelques mois après, le médecin la rassure et lui annonce que son cancer a été éradiqué. Une année plus tard, Djamila replonge dans le même cauchemar. Le même médecin lui révèle l’apparition de taches au niveau des poumons. Autrement dit, il s’agit d’un cancer à un stade avancé.
Aussitôt on lui a administré un traitement de choc. D’ailleurs, suite aux nombreuses séances de chimiothérapie qu’elle a subies, son estomac a été brûlé. Malgré le traitement, l’état de Djamila n’a cessé de se dégrader. Son état s’était tellement dégradé et la douleur tellement insupportable qu’on a dû lui arrêter le traitement et calmer son mal par la morphine. Quelque temps après, Djamila est décédée. Elle a succombé à la maladie après une année de calvaire.
Si toutes ces malades sont à cran, c’est parce qu’elles ont peur de ne pas être prises en charge à temps, notamment à cause des retard dans les rendez vous de radiothérapie. En effet, cette étape a longtemps constitué un problème pour les patientes. A cet effet, le professeur Zitouni a indiqué que le Plan national de lutte anticancer (2015-2019), lancé à l’initiative du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a «grandement contribué à la réduction des délais des rendez-vous et à l’amélioration des soins par chimiothérapie à travers l’ouverture de centres dédiés à cet effet dans toutes les wilayas du pays.»
CNAS
D’ailleurs, le nombre d’accélérateurs de la radiothérapie est passé de 14 appareils en décembre 2015 à 22 en janvier 2017 dans le secteur public. «La situation actuelle exige qu’on ait 75 à 80 appareils pour prendre en charge tous les malades. Théoriquement, il nous faut au minimum deux machines pour un million de personnes», avait alors expliqué le professeur Djamaâ. Cependant, «un service de radiothérapie est très complexe, et il n’est pas possible d’en implanter partout pour des raisons de sécurité», explique le professeur M’hamed Afiane, ancien chef de service de radiothérapie au CPMC.
Mais, finalement, le problème est-il dans les retards accumulés des rendez-vous ? «Non», martèle le professeur Kamel Bouzid, président de la Société algérienne d’oncologie médicale. «Le vrai problème émane de la CNAS qui refuse de rembourser les soins. Il faut savoir que beaucoup d’efforts ont été investis, que ce soit dans le secteur public ou privé.
Les capacités de prise en charge des malades affectés par cette pathologie ont été multipliées par six suite à la multiplication de centres publics et privés. Ainsi, les soins aux malades atteints de cancer dans les hôpitaux sont assurés à 100%, alors que toutes les analyses et les clichés d’imagerie médicale réalisés par des intervenants privés contre de fortes sommes ne donnent lieu qu’à de faibles taux de remboursement, ce qui complique la situation.»
Pressions
D’ailleurs, Samira, une patiente croisée dans les locaux du CPMC, se pose la même question. «Je me demande pourquoi la caisse nationale refuse de rembourser ces soins alors qu’on a cotisé toute notre vie ?» s’interroge-t-elle. Elle propose même des solutions «logiques», selon elle : «Si l’hôpital monnayait ses séances à un prix raisonnable, tout le monde serait gagnant.
Il aurait de quoi entretenir ses machines et les malades auront où se soigner.» Selon le spécialiste, «si la CNAS accepte de rembourser les soins du secteur privé, le secteur public pourrait souffler, car il ferait face à moins de pression et tout le monde aurait ses soins en temps et en heure».
Le professeur Bouzid appelle la CNAS à collaborer avec le ministère de la Santé : «Ce que je demande à la Sécurité sociale, c’est de s’entendre avec le ministère de la santé pour actualiser une nomenclature datant de 1987 et en vertu de laquelle les remboursements ne sont effectués qu’à hauteur de 80 DA pour des consultations payées 1000 et 3000 DA, ou bien à 800 DA pour un scanner payé 7000 DA.»